Gabon : L’étudiant publiciste Jovanny Moubagna, livre une analyse juridique des enjeux des élections législatives en France.

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La dissolution du Parlement Français a deux effets politiques péremptoires : La desynchronisation de la durée du mandat présidentiel et du mandat parlementaire : élus en 2024 les députés le seront jusqu’en 2029 alors que le Président Français Emmanuel Macron termine son mandat en 2027 ; La seconde est de permettre aux électeurs de juger la politique du Président depuis deux ans. En revanche, le Parlement peut se réunir et destituer le Président sur la base de l’article 68 de la Constitution. 

Aussi, Par la dissolution, le Président Emmanuel Macron demande aux Français de lui donner une majorité claire pour gouverner en toute tranquillité. Comme Chirac en 1997 et Mac Mahon en 1877. Sauf que Chirac perd et se soumet à la nouvelle majorité parlementaire; Mac Mahon perd, se soumet d’abord et se démet en 1879. Je ne suis pas français mais j’ai la nette impression que l’histoire politique française se répète. Dans les deux cas la dissolution a mené à une profonde et inédite parlementarisation du régime même si elle ne fut malheureusement que temporaire en 1997-2002. Espérons que ce soit à nouveau le cas. Quoi qu’il en soit le présidentialisme sera affaibli au moins pour deux ou trois ans. Cette défaite qui est plus visible vient démontrer la méfiance des français vis-à-vis de la gouvernance de Emmanuel Macron. 

Suite à l’annonce solennelle faite sur les médias, Emmanuel Macron a formalisé sa décision de dissoudre l’Assemblée nationale par décret du 9 juin 2024 portant dissolution de l’Assemblée nationale publié au Journal Officiel du lundi 10 juin 2024. Cette décision est motivée par le score très important réalisé aux élections européennes le dimanche 9 juin 2024 par le parti Rassemblement National avec 31,37 % des suffrages exprimés, devançant de très loin tous les autres partis en course, dont celui du président de la République. Ce séisme se traduit par un constat sans ambiguïté : dans 93,2 % des communes françaises le Rassemblement National et son leader Jordan Bardella arrivent en tête. La décision de dissolution vise à régler dans un régime parlementaire, en recourant aux électeurs, un différend qui oppose le gouvernement et le Parlement. La dissolution résulte d’une décision personnelle et souveraine du président de la République.

L’article 12 de la Constitution française du 4 octobre 1958 a son premier alinéa soumet la décision présidentielle à une simple consultation du Premier ministre, du président du Sénat et du président de l’Assemblée nationale. Par décision n° 88-4 ELEC du 4 juin 1988, le Juge de la rue Montpensier avait jugé « qu’aucune disposition de la Constitution ne donne compétence au Conseil constitutionnel pour statuer » sur la décision du Président de la République Française de dissoudre l’Assemblée nationale. De même, le Juge du Palais-Royal s’est déclaré au nom de l’acte de gouvernement pris par le chef de l’Exécutif incompétent pour se prononcer sur la légalité d’un décret portant dissolution de l’Assemblée nationale (CE 20 févr. 1989, A.). L’arme de la dissolution de l’Assemblée nationale a été utilisée à cinq reprises par les Présidents de la République Française:

1-/ Dissolution du 9 octobre 1962 par le président Charles de Gaulle suite à la motion de censure votée par l’Assemblée nationale contre le gouvernement conduit par le Premier ministre Georges Pompidou, suite à la réforme constitutionnelle pour élire au suffrage universel direct le président de la République française.

2-/ Dissolution du 30 mai 1968 par le président Charles de Gaulle en réponse à la crise sociale et aux troubles provoqués par les évènements survenus en mai 1968.

3-/ Dissolution du 22 mai 1981 par le président François Mitterrand suite à son élection à la présidence de la République afin de disposer d’une majorité parlementaire au Palais Bourbon.

4-/ Dissolution du 14 mai 1988 par le président François Mitterrand réélu qui obtiendra une majorité parlementaire relative par rapport à celle obtenue en 1981.

5-/ Dissolution par anticipation du 21 avril 1997 par le président Jacques Chirac afin de contenir une défaite annoncée en 1998. Il récolte en retour au contraire une majorité parlementaire de gauche à l’Assemblée nationale.

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La dissolution est une arme à double tranchant : elle peut renforcer la majorité favorable au président dans les quatre dissolutions précitées mais elle peut également affaiblir le président de la République en lui envoyant une majorité parlementaire hostile. La différence des cinq dissolutions par rapport à celle décidée par le président Emmanuel Macron tient au fait que la durée du mandat présidentielle s’est considérablement réduite depuis 2000.

Les précédentes dissolutions ont été provoquées par des présidents de la République élus pour sept ans, disposant ainsi d’un temps long avec au terme de cinq ans des élections législatives. La durée du septennat permettait au chef de l’État de jouer le rôle d’arbitre des institutions conformément au premier alinéa de l’article 5 de la Constitution qui dispose « Le président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État ».

Même si cet article 5 de la Constitution est toujours en vigueur et sa rédaction n’a pas changé, la transformation du septennat en quinquennat a totalement modifié l’exercice du pouvoir présidentiel : Le président de la République française a cessé d’être un arbitre pour se transformer en joueur de milieu de terrain et de véritable capitaine de l’équipe gouvernementale, le Premier ministre ne jouant plus son rôle historique de chef de la majorité parlementaire et de fusible. La révision constitutionnelle du 2 octobre 2000 soumise par référendum aux votes des Français sur le fondement de l’article 89 de la Constitution a limité à cinq ans la durée du mandat présidentiel, mettant fin ainsi au septennat en vigueur depuis 1873.

Le quinquennat a transformé le chef de l’État en un hyperprésident, omniprésent et surexposé du fait de la durée raccourcie de son mandat, lui supprimant tout temps de recul que lui offrait le septennat. Ce changement de durée est difficilement compatible avec une cohabitation puisque par essence les deux élections sont simultanées sur une même durée de cinq ans. Il est difficilement imaginable qu’un président élu sur un temps très limité cohabite avec une majorité parlementaire qui lui est hostile. En décidant de dissoudre l’Assemblée nationale, Emmanuel Macron a pris un très grand risque puisque l’élection d’une très large majorité parlementaire qui serait à l’opposée de ses idées et de ses actions affecterait la légitimité même de son mandat électif, réduit du fait du quinquennat.

Ajoutons à cela qu’il est dans l’incapacité juridique de se représenter conformément à l’alinéa deux de l’article 6 de la Constitution du 4 octobre 1958 interdisant tout président sortant d’exercer plus de deux mandats consécutifs.

Cela peut déboucher sur une crise de régime qui serait d’autant plus aggravée si le parti ayant remporté largement les élections européennes remportait également largement les élections législatives provoquées de manière anticipée.

Suite à cette dissolution, le décret n° 2024-527 du 9 juin 2024 portant convocation des électeurs pour l’élection des députés à l’Assemblée nationale, d’application immédiate, est venu organiser les élections législatives. En revanche,quelques conséquences peuvent entraîner cette dissolution présidentielle sur plusieurs points. Application de la théorie des affaires courantes.

À la suite de sa décision de dissoudre l’Assemblée nationale, le Président français a ouvert une période de mise en sommeil de l’activité gouvernementale. Le gouvernement ne peut aujourd’hui que se limiter à gérer les affaires courantes sans entreprendre de programmes pouvant hypothéquer les actions de futurs gouvernants potentiels, dans l’attente des résultats définitifs des élections législatives et de sa démission à l’issue de ces derniers.

Le Conseil d’État a circonscrit la gestion des affaires courantes aux mesures nécessaires pour assurer la continuité du service public. Par affaires courantes, on entend ici celles qui relèvent du quotidien, de l’indispensable. Il s’évince dès lors que toutes les actions importantes supposant l’engagement de dépenses conséquentes sont suspendues, les ministres en exercice ne disposant plus de la légitimité pour engager durablement l’État. Cette théorie prétorienne permet d’éviter que le pouvoir sortant engage des actions qui peuvent gêner les programmes portés par le pouvoir entrant. De tels actes qui dépasseraient le cadre de la gestion des affaires courantes pourraient être sanctionnés par le Conseil d’État.

En conséquence, jusqu’au renouvellement de l’Assemblée nationale et de la constitution d’un nouveau gouvernement, la France vivra au ralenti au niveau national. Cette situation est d’autant plus particulière qu’elle se produit pendant une période où la France vit avec des risques : organisation de la sécurité des JO, gestion de la Nouvelle-Calédonie, etc. Un autre effet collatéral de la dissolution de l’Assemblée nationale : il met un terme à la convocation formelle du congrès à Versailles pour voter la réforme constitutionnelle très contestée adoptée par chaque assemblée qui autorise le dégel du corps électoral calédonien.

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